Témoignage de Marc Perrez
éducateur.
Marc perrez est éducateur auprès des élèves de 5e (16/17 ans) dans l'enseignement secondaire général. Il pratique l'aide individuelle. Il dispose pour cela d'une dizaine d'heures par semaine.
Le préfet m'autorise à prendre des élèves en charge à condition que cela ne perturbe pas mon travail de surveillant-éducateur et notamment la part administrative de ce travail. Il ne me demande aucun compte du travail d'accompagnement des élèves.
J'assiste aux conseils de classe et aux délibérations de toutes les classes de 5e sans voix délibérative. Il est intéressant pour moi de connaître l'ensemble des élèves et d'entendre le point de vue des professeurs qui est parfois différent de ce que les élèves me disent. Je suis en général bien accepté par mes collègues. Avec les élèves qui me sont souvent envoyés par le conseil de classe, je joue carte sur table : il y a d'une part l'éducateur qui peut être amené à prendre des sanctions disciplinaires et d'autre part le remédiateur qui observe le secret professionnel, mais qui peut servir d'intermédiaire avec un professeur si la demande existe et se justifie. Le fait de ne pas être professeur est un atout : je ne suis là que pour aider, je ne me situe pas du côté "sanction".
Je les reçois d'abord 3 ou 4 fois pour faire connaissance en détail. Ils ne savent pas à quoi correspond la gestion mentale. Passé cela, ils peuvent demander de suspendre les entrevues. Par ailleurs, je dois être attentif à la surdose d'entretiens. Il convient de les responsabiliser.
Les élèves en difficultés sont souvent étonnés par les propositions pédagogiques que je peux leur faire comme si les questions de méthode étaient nouvelles pour eux. Par rapport au travail intellectuel, ils sont souvent passifs et ils attendent de moi des trucs et de ficelles. Beaucoup sont envahis par des messages négatifs qui viennent du fait que souvent ils ont été "cassés" ou qu'on n'a pas remarqué leurs efforts. Par ailleurs, comme ils ont souvent une image idéale d'eux-mêmes et qu'ils pensent qu'ils n'ont pas droit à l'erreur, devant l'échec ils abandonnent… D'autant que la difficulté se vit depuis la 1e.
Les difficultés les plus fréquentes à mon niveau sont le stress bloquant d'une part et l'immense problème de la compréhension d'autre part. La mémorisation ne pose plus de problème apparent. A moins que beaucoup d'élèves en difficultés ne confondent justement l'étude et la mémorisation sans beaucoup de compréhension.
Le stress est souvent dû au fait qu'ils n'ont pas anticipé les conditions concrètes de restitution.
Les difficultés de compréhension se concentrent d'abord dans l'incapacité d'établir des liens: pour expliquer ceci je souligne qu'ils se donnent peu de permission, ils ont peu, très peu de souplesse mentale. Savent-ils qu'on peut en avoir ?
D'autre part les matières restent pour eux quelque chose "d'abstrait", à condition qu'on puisse considérer "l'abstrait" comme l'absence d'évocation autre que le P2. Le français, les mathématiques ou les sciences restent "formels", des formes vides, sans véritable contenu (P1, P3 ou P4).
Les difficultés de compréhension se sentent aussi au niveau du passage entre les mots et un schéma ou entre un schéma et sa verbalisation. Enfin le travail en dernière minute entraîne souvent le fait que la matière n'est pas vraiment fixée, qu'ils situent l'endroit sur la page mais qu'ils ne disposent pas vraiment du contenu et qu'ils n'ont pas le temps de relire.
Dans la remédiation, le recours au processus réussi est possible pour passer d'un cours à un autre. La proposition de passer d'une activité hors cadre scolaire à un cours est souvent refusée. Pour eux ces deux activités n'ont rien à voir.
La plupart des élèves en difficultés vivent sans but précis et ils ont beaucoup de difficultés à mettre des mots sur cette absence de but. Pour eux, l'avenir est noir. "A quoi sert un diplôme ?"
Passer de l'aide individuelle à l'organisation d'ateliers pourrait être positif en ce sens que les élèves seraient à même de se rendre compte qu'ils ne sont pas les seuls à avoir des difficultés, que c'est l'occasion de profiter des différentes procédures mentales y compris les différentes façons de se mettre en projet.
Propos recueillis et mis en forme par Pierre-Paul Delvaux
et parus dans la Feuille d’IF n°2 en juin 2001.