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Gestion Mentale
des valeurs // des concepts // des pratiques

Témoignage de Michèle Naples


professeur de français en 2e professionnelle à Bruxelles.

Quelques détails qui changent tout ou l'évocation qui fait réussir.

Une classe de 2ème professionnelle dans un institut bruxellois, 9 garçons.
Début de l’année, dictée mémorisée d’une courte rédaction collective sur les buts du cours de français. Mohamed M. s’énerve très vite pendant la phase de mémorisation de l’orthographe. Il s’agite, se trémousse, devient violent.
Je lui demande d’écouter calmement la procédure, d’observer les autres - ou pas - mais d’attendre un peu: je m’occuperai de lui tout seul après, car je veux qu’il y arrive. Je prends une voix calme, je pose la main sur son épaule, j’adopte un ton très conciliant.
Mohamed sourit d’un air gêné, mais accepte de se calmer. Les autres, intrigués par la procédure de mémorisation que je leur ai proposée retrouvent rapidement leur concentration. Je rappelle l’objectif: pouvoir recopier le texte (court) de la rédaction, sans faire de faute, et de mémoire. Nous ne travaillons pas encore par raisonnement grammatical (on n’est qu’en septembre et ils ont échoué en 1ère accueil, on ne peut donc s’appuyer sur aucun acquis). Nous travaillons la mémoire pure, phrase par phrase : elles sont courtes et forment chacune un groupe de sons ininterrompus.
On observe la première phrase pour la mémoriser, on déplace le regard, on vérifie si on « a » bien la phrase en tête. Certains ferment les yeux, d’autres les lèvent au plafond, ou les baissent, comme pour entrer en eux-mêmes. Du doigt, j’invite Mohamed à observer Izmar qui se parle ou la main de Lhabib qui écrit dans le vide. Sourires complices.
On remet les yeux au tableau et on observe ce qui n’est pas revenu à la mémoire, ce qui manquait dans l’évocation. Chacun l’exprime et je souligne les difficultés soulevées dans différentes couleurs. Des liens s’établissent: « C’est comme dans ce mot-là qu’on connaît déjà », des réminiscences émergent: « Ah oui, c’est un pluriel. », « Il, c’est la 3ème personne... ». Je les accueille sur l’autre tableau, on les récupérera plus tard. Nous continuons de la même façon pour les phrases suivantes et Mohamed, petit à petit, s’accroche au travail.
Je l’encourage en revenant poser la main sur son épaule et en reprenant le ton confidentiel du début. Je lui fais, à voix basse, les propositions que les autres ont déjà assimilées : « Tu revois la phrase dans ta tête, tu te la redis, tu l’entends avec ma voix, tu te parles les difficultés, tu sens ta main l’écrire... ».
Le dialogue pédagogique viendra plus tard, nous ne sommes qu’au temps des propositions.
Et Mohamed sourit d’un autre sourire cette fois : la 4ème phrase, il l’a, il la connaît, il veut l’écrire tout de suite pour me le prouver. Mais non, garde-la dans la tête pour demain! Nous terminons les sept phrases et tous voudraient bien faire la dictée mémorisée toute de suite!
D’accord, mais on la fait « dans sa tête » aujourd’hui, puis encore ce soir à la maison, et seulement demain sur le papier. Désaccord! Ils ont besoin de l’écrire pour vérifier! Je cède, mais en avertissant que ce n’est pas pour des points.
Enthousiastes quand même, ils plongent sur leur feuille et écrivent dans un silence total, en prenant spontanément (pour certains) des temps d’évocation. Grands sourires de satisfaction: très peu de fautes dans l’ensemble, y compris chez Mohamed. Je leur rappelle, avant de les laisser partir, qu’il faudra ré-évoquer ce soir! « Oui, oui, Madame », et ils s’éloignent en récitant à tue-tête le texte de leur dictée.
Le lendemain, impatience : ils veulent s’y mettre toute de suite, mais je leur rappelle qu’un temps d’évocation leur sera bénéfique pour une dernière mise au point. Je leur demande de ré-évoquer la première phrase: « On la revoit, on se la dit, on se sent l’écrire... », puis je la dis moi-même lentement à voix modérée pour qu’ils ré-évoquent l’orthographe. Deux, trois questions se posent encore, dernières vérifications et la dictée commence, dans un silence de qualité. Mohamed la réussira!
Avant, je disais : « On se tait et on se concentre. » Il se taisaient ... Aujourd’hui, ils se concentrent visiblement sans que j’aie besoin de le leur dire.
Fin octobre, leçon de vocabulaire, nous avons travaillé de la même façon pendant deux mois : un objectif clairement annoncé, des propositions de mise en projet formulées, du temps pour évoquer, une ou plusieurs ré-évocations, et de nombreux petits moments de valorisation pour chacun.
Ces élèves, produits de plusieurs années d’échec ont tous de bons points pour la première période. C’est un premier pas pour se reconstruire, lentement, une image positive d’eux-mêmes.
Mais moi, fin octobre, je suis plutôt fatiguée, et à la dernière interro de vocabulaire, je ne mets pas en place tout le dispositif habituel. Je leur dis, un peu endormie : « Vous vérifiez si vous connaissez bien », et je plonge dans une liste de présences à compléter. Au bout d’un moment, je relève la tête, étonnée par le silence qui règne et je les vois tous (presque tous : Mohamed cherche encore son classeur...) en train d’évoquer, chacun selon sa stratégie; les yeux passent du plafond au tableau, les lèvres murmurent... Certains regards fixes et sérieux me mettent une petite émotion au cœur. Ils m’ont dépassée : ils ont acquis une autonomie, ils évoquent sans moi...
Oh! je sais, tout n’est pas gagné. Il faudra tout reprendre en novembre, approfondir, détailler, passer aux autres gestes, mais quand même, ce jour-là, j’étais très fière de mes élèves de 2ème professionnelle.

Michèle Naples.
Paru dans la Feuille d'IF n° 3 de décembre 2001.

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