Témoignage de Dominique Duchâteau

Elle continuait à zézayer pour préserver une certaine image.

Dialogue avec une fillette de 10 ans.
Contexte :
une rééducation dans le cadre d'un traitement orthodontique pour interdentalité multiple. cinq séances effectuées. Aucun résultat significatif de l'articulation malgré un travail tout à fait satisfaisant pendant les séances.

Dialogue :
DD (Logopède) Je me pose quelques questions au sujet de la rééducation. J'aimerais qu'ensemble nous essayions d'y répondre.
ML (Enfant. Etonnée et quelque peu angoissée) : … ?
DD : C'est la sixième fois que tu viens, je crois ?
ML : Je ne sais pas.
DD : Tu as l'air de bien t'amuser en rééducation, tu participes très bien. Tu déglutis maintenant tout à fait correctement et tu places correctement la langue quand tu es bouche fermée.
ML (Un petit sourire. Un peu rassurée)…
DD : Est-ce que je me trompe ?
ML : Non.
DD : Tu aimes venir encore ?
ML : Oui, pourquoi ?
DD : Et bien je me demande pourquoi tu as tout de suite compris et appliqué la bonne position de la langue lorsque tu déglutis et quand tu es bouche fermée et que nous devons à chaque séance recommencer le travail de positionnement de la langue quand tu parles.
ML (Embarrassée, fuyant mon regard) : Je ne sais pas.
DD : Est-ce très difficile pour toi ?
ML (gênée, hésite à répondre) : Non ! enfin, un peu.
DD : Tu sais, il ne faut vraiment pas être gênée de me dire que c'est difficile pour toi. Si c'est le cas je trouverais courageux de ta part de me le dire. Je ne suis pas là pour te juger mais pour comprendre et surtout essayer de t'aider si tu en as envie. En as-tu envie ?
ML (baisse les yeux, deux larmes coulent)…
DD : Viens sur mes genoux, je vais essuyer ces larmes et nous allons un peu discuter toutes les deux. Que se passe-t-il ?
ML (vient sur mes genoux et une fois sur mes genoux pleure en hoquetant )…
DD (éberluée de ce qui se passe) : Tu n'as pas envie de parler correctement ?
ML (en hoquetant) : Si, mais… (Silence)
DD : Si tu n'as pas envie d'en parler, si c'est trop dur pour toi, je respecte ton silence.
ML : Non, mais…
DD : Tu as peur de me décevoir ?
ML (en se mouchant) : Non.
DD : Tu as peur de décevoir papa et maman ?
(Silence)
DD : Si tu as envie de m'en parler, ce sera un secret entre nous.
ML (en baissant les yeux, me dit très doucement comme si elle était honteuse) : J'ai toujours parlé comme cela. Mes amies, elles ont l'habitude. Si je parle autrement, elles ne me reconnaîtront plus. Elles vont se moquer de moi, et aussi mes frères. (Elle est la seule fille parmi trois garçons)
DD (un peu sous le choc) : Se moquer de toi ? Pourquoi se moqueraient-ils de toi parce que tu fais l'effort de bien placer ta langue en parlant ?
ML: Parce que je ne parlerais plus comme avant. Je ne serais plus comme maintenant.
DD : Tu as peur qu'on ne t'aime plus si tu changes ta façon de parler ?
(Silence)
DD : Mais toi, M. as-tu envie de bien parler ?
ML : Oui !
DD : On va faire quelque chose toutes les deux pour essayer d'y voir plus clair. Nous allons dessiner une balance avec deux grands plateaux. Sur un plateau, tu vas écrire tout ce que "bien placer ta langue en parlant" peut t'apporter en positif et sur l'autre plateau, tout ce que tu penses que "bien placer ta langue en parlant peut t'apporter en négatif.
Nous avons réalisé cette balance. Je l'ai aidée en suggérant des points positifs. Pendant notre dialogue, j'ai appris qu'elle voulait, plus tard, être journaliste et que c'était une fameuse source de motivation.
J'ai demandé à M. de continuer à compléter les plateaux chez elle et proposé qu'on en reparle à la prochaine séance.
La semaine suivante, M. était transformée. Elle avait pris la décision de continuer les séances de logopédie et de mettre tout en œuvre pour arriver à corriger son défaut d'articulation dans toutes les circonstances. C'est le travail sur le projet qui m'a permis de suggérer tout ceci.

D. Duchâteau.
Paru dans la Feuille d'IF n°6 de Juin 2003.