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Gestion Mentale
des valeurs // des concepts // des pratiques

Où un empereur et sa fille ...


... aident au calcul mental ! Où des syllabes dansent autour d'une petite fille...

Entretien mené par Marie Christine Meyer-Hoeven avec Michèle, petite eupenoise de huit ans. La traduction de l’allemand est due à Florence Van Hoof et Thierry de Marneffe.

- Je vais te donner un exercice très simple et tu peux prendre tout ton temps pour le faire. Ce qui m’intéresse surtout, c’est ce qui se passe dans ta tête, OK ? Je répète même tout deux fois. Tu me diras ensuite ce à quoi tu penses. Il s’agit d’un exercice de calcul mental : 90 plus 40.
- Hmmmm... 0K
- Ca va? On prend celui-là? 90 et 40...
- Hmmm... OK, c’est fait.
- Bien, on peut en parler un peu ensemble?
- Oui
- Ce qui m’intéresse maintenant, bien plus que le résultat, c’est ce que tu as fait dans ta tête. Peux-tu me dire quelque chose là-dessus?
- Oui je prends le 90, c’est un magicien parce qu’il mène à la centaine, et alors, il est toujours très fier de ça, … euh, d’avoir plus…
- Donc, les grands nombres, cela devient des magiciens?
- Oui, et alors, c’est le 40 qui devient plus grand. Mais comment dit-on? Il est triste, parce qu’il a perdu une dizaine, il voulait seulement arriver à cent et il a perdu une dizaine.
- C’est toi qui es triste, ou le nombre?
- Le nombre.
- Et dans tes nombres, il y en a donc un qui est devenu magicien, et l’autre, 40, il s’est aussi transformé en quelque chose? Que s’est-il passé avec le 40 dans ta tête?
- Eh bien, il est devenu plus âgé et plus grand dans ma tête.
- Et quand je t’ai dit la somme à faire, Michèle, comment étaient les nombres que tu as entendus, dans ta tête?
- Ben, en fait, ils étaient d’abord tout à fait normaux, puis, euh… j’ai vu soudain une image dans ma tête, puis ça a commencé et c’est devenu ça et puis ça… Il me vient automatiquement des histoires, je ne peux pas changer cela, je voudrais bien ne plus calculer comme ça, mais...
- Tu ne peux pas t’en passer?
- Non. Un jour, nous avions un exercice, puis ça a duré un peu plus longtemps, puisque j’imagine d’abord une histoire, puis j’ai essayé sans histoire, mais alors, tout était faux car je n’avais pas réfléchi par des histoires.
- Ah bon? Et le nombre 90, comment se transforme-t-il? Vois-tu un visage, devient-il une personne, ou vois-tu le nombre, ou l’entends-tu, ou que devient-il?
- Euh… une personne. Je me l’imagine avec un visage clair, en fait, c’est un magicien, avec un bonnet foncé, des étoiles sur un grand vêtement.
- Et le 90, il est tout à fait parti alors? Ou le nombre est encore inscrit quelque part dans ta tête?
- Euh… en fait, non, il n’est plus là. Je sens bien le 90, mais dans ma tête, je vois un magicien.
- Tu sens donc le 90. Comment le sens-tu? Est-il chaud, froid, ou comment?
- Euh… je sens que c’est un 90, mais je ne peux pas dire comment.
- Donc, tu ne vois pas le 90?
- Non
- Tu l’entends peut-être? Le magicien, il dit quelque chose?
- Euh… alors, seulement le magicien, mais pas le nombre en tant que tel.
- Non? Et le résultat, Michèle, tu l’as trouvé ? Combien était-ce?
- C’était 130.
- Et ce 130, comment est-il dans ta tête?
- Euh, c’est un empereur, qui a une fille.
- L’empereur a une fille? C’est ça, le 130?
- Ben oui, 100 c’est l’empereur, et 30, c’est sa fille.
- Ah bon?
- Ou son fils ! C’est comme ça me vient au moment même.
- Tu viens de me dire que 90, c’est un magicien, et que 40 c’était quoi encore, quelqu’un qui voulait grandir?
- Une fille, ou une princesse.
- Ils se transforment donc en personnes. Mais comment reviens-tu alors à 130? Comment le chiffre arrive-t-il dans ta tête?
- Je ne sais pas, je remarque simplement que c’est un 90 et un 40, et que d’une manière ou d’une autre, le 90 ensorcelle le 40, puis ils s’assemblent ( ) et puis, je vois un nombre multicolore.
- Ah... et ce nombre est donc coloré dans ta tête. Pourrais-tu aussi me dire quelle couleur a ce nombre? Le 130?
- Le 130? Et bien, le 100 est bleu, le 3 est rouge et le 0 est jaune.
- Vois-tu ces chiffres dans ta tête, maintenant?
- Oui.
- Oui ? Sont-ils écrits?
- Oui, avec un trait épais.
- La majorité des nombres avec lesquels tu calcules, sont-ils colorés ou les vois-tu plutôt en noir et blanc?
- La plupart sont colorés, mais si je pense justement à quelque chose de triste, alors ils deviennent noirs et blancs.
- C’est intéressant, Michèle. Et dis-moi, lors de calculs, remplaces-tu les chiffres par des histoires… Parce que tu aimes faire ça, non?
- Oui, j’aime ça.
- Et tes pas de danse ?
- Je suis très nerveuse, pour que j’accomplisse tout correctement, parce que je dois inventer une histoire et cela prend du temps. Je suis donc nerveuse.
- Ainsi, tu t’inventes aussi des histoires pour le cours de danse?
- Oui.
- De quelle façon?
- Je ne sais pas.
- Ça vient tout seul?
- Je ne sais pas expliquer. Pour chaque chose vient une histoire.
- Les pas de danse, tu les retiens dès que tu t’es raconté une histoire, c’est ça?
- Oui.
- Peux-tu me donner un exemple ? Pour quel pas de danse t’es-tu raconté une histoire ? Tu t’en rappelles?
- Le pilier.
- Le pilier? Quelle histoire te racontes-tu pour retenir ce pas de danse?
- C’est difficile à dire.
- Est-ce une question difficile? Réfléchis. Quand as-tu eu, pour la dernière fois, cours de danse ? Samedi?
- Il y a trois semaines.
- II y a trois semaines. Et comment retiens-tu tes pas de danse?
- Je ne sais pas. Je me les répète quelques fois, et ensuite, ils prennent une forme bizarre, par exemple un demi-cercle en ce qui concerne le pilier, ensuite je le retiens, je ne sais pas expliquer comment.
-Vois-tu, dans ta tête, ton professeur faire les pas?
- Non.
- Te vois-tu toi-même?
- Non, je ne vois personne, juste le demi-cercle.
- C’est une forme que tu as inventée?
- Oui, et c’est coloré.
- Tu compares toujours tes pas avec quelque chose lorsque tu danses?
- Oui, par exemple avec un arc-en-ciel.
- Qu’est-ce qui est comme un arc-en-ciel?
- Le pilier.
- Le pilier est comme un arc-en-ciel, oui?
- Oui, plus ou moins. C’est un peu plus angulaire, mais je ne fais que le comparer, rien de plus.
- Et ainsi, tu retiens mieux?
- Oui.
- Et tu peux alors réaliser les pas aussi bien que les autres enfants?
- Oui.
- Super !!!
- Ou parfois, même mieux!
- Super, formidable! La dernière fois, tu m’as aussi raconté comment tu retenais des poèmes. Tu t’en souviens? Par exemple en français, comment étudies-tu tes poèmes par coeur?
- Je m’en souviens d’un. Mes mots étaient pour ainsi dire en petites syllabes, dansaient autour de moi, étaient aussi colorés, avaient des visages, et soudain…
- Et ensuite, tu voyais les mots dans ta tête… ?
- Oui.
- Ou bien les prononçais-tu ou les entendais-tu?
- Je les voyais et je les entendais, ils faisaient aussi un peu de musique lorsqu’ils dansaient. Lorsqu’ils restaient en place, tout était calme.
- Les syllabes faisaient de la musique?
- Oui.
- Ils jouaient ou la musique provenait des syllabes?
- Elle provenait des syllabes. Parfois, je voyais aussi quelques notes parce que je prends aussi des cours de piano. Je peux donc bien me représenter cela.
- Et les notes, étaient-elles avec les syllabes?
- Oui et elles bougeaient comme des vagues.
- Et tes syllabes, elles bougeaient aussi comme des vagues?
- Non, elles bougeaient plus ou moins comme nous.
- Ah bon, ce sont des personnes si petites ? Je peux me les représenter ainsi?
- Oui, mais toujours comme des syllabes.
- Toujours comme des syllabes ... bien. Et alors, tu connaissais les phrases précisément, tu pouvais les mettre les unes à la suite des autres?
- Oui.
- Tu pouvais bien les retenir par coeur de cette façon?
- Oui.
- Tu fais cela chaque fois que tu dois étudier quelque chose?
- Oui, si je ne fais pas cela, ça rentre par une oreille et ça sort par l’autre.
- Ah bon ? Et tu te rappelles comment les syllabes ont dansé ou comment elles se sont groupées?
- Oui, sinon je ne l’aurais pas retenu depuis la dernière fois!
- Et bien, oui, je vois comment tu fais pour bien retenir. C’est la même chose pour les calculs. Tu transformes pour retenir. C’est cela ?
- Oui.
- C’est super !

Entretien publié dans la Feuille d'IF n° 8 de JUIN 2004.

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